VI
DE CONSERVE

Trois jours passèrent, pendant lesquels Bolitho ne revit pas Draffen. Mais les affaires de l’Euryale et des autres bâtiments de l’escadre l’avaient tant occupé qu’il n’avait guère eu le temps de repenser à ce qu’il lui avait dit en le quittant.

Le fait qu’il eût connu Hugh signifiait que Draffen avait vécu ou travaillé aux Antilles, voire en Amérique, durant la révolution. Sans cela, il n’aurait guère eu motif à se montrer si discret au sujet de cette rencontre. Draffen avait toutes les apparences d’un négociant, l’un de ces hommes qui aidaient à établir des colonies poussés par le seul désir de faire fortune. L’homme avait du flair, et Bolitho le soupçonnait de pouvoir se montrer sans pitié lorsqu’il le jugeait bon.

Bolitho savait aussi que Draffen n’avait peut-être aucune idée derrière la tête, qu’il avait seulement cherché un moyen d’établir le contact. S’ils étaient amenés à travailler de concert pendant les semaines ou les mois à venir, la chose paraissait naturelle. Mais, au fil du temps, Bolitho avait appris à se méfier, depuis que son frère avait changé de camp. Il en était devenu soupçonneux, hypersensible même, chaque fois que l’on prononçait le nom de Hugh devant lui.

Il y avait tant de choses qui l’attendaient : refaire les pleins de vivres et d’eau douce pour la campagne à venir, trouver des rechanges à n’importe quel prix sur le Rocher, en mendiant, en négociant ou en volant. Une fois entrés en Méditerranée, ils se retrouveraient loin de toute base, incapables de se ravitailler, forcés de vivre sur la réserve embarquée.

Une nouvelle donnée était venue s’ajouter à ce besoin pressant d’indépendance. Deux jours après leur arrivée au mouillage, Bolitho avait vu une corvette tirer des bords pour entrer dans la baie, en provenance d’Angleterre. On disait qu’elle apportait des nouvelles et des dépêches.

Broughton avait fini par l’envoyer chercher. Il était lugubre lorsqu’il lui annonça :

— La mutinerie dans le Nord a encore empiré. Tous les bâtiments ou presque sont tombés aux mains de délégués.

Il avait prononcé ce mot comme en crachant, comme s’il avait avalé du poison.

— Ils ont bloqué le fleuve et mettent le gouvernement à rançon tant que leurs exigences ne sont pas satisfaites.

Broughton, bondissant sur ses pieds, avait alors commencé à arpenter sa chambre comme un animal en cage.

— L’amiral Duncan avait établi un blocus devant les côtes hollandaises. Mais que pouvons-nous bien faire, alors que la plupart des bâtiments au mouillage ont hissé les couleurs de la rébellion ?

— Je vais en informer les autres capitaines, amiral.

— Oui, faites-le immédiatement. Cette corvette va repartir sans tarder pour l’Angleterre avec des dépêches, si bien qu’il n’y a pas gros risque à voir les hommes s’enflammer – puis il ajouta, plus lentement : J’ai inséré dans mon rapport le détail de la perte de l’Aurige. Les Français pourraient bien l’utiliser pour faire de l’espionnage ; il vaut donc mieux que nos bâtiments le sachent dès que possible. Nous ne savons pas s’il a vraiment amené ses couleurs à la suite d’une mutinerie.

Il ne regardait toujours pas Bolitho.

— Ses officiers ont peut-être été tous tués ou mis hors de combat au cours de l’abordage. Et dans la confusion qui a suivi, l’Aurige a peut-être été débordé.

Il ne croyait visiblement pas plus que Bolitho à ce qu’il venait de dire.

Il subsistait cependant suffisamment de doutes pour autoriser Broughton à se contenter de commentaires évasifs dans son compte rendu. La nouvelle qu’un bâtiment britannique venait de changer de camp, pour quelque raison que ce fût, risquait fort d’aggraver encore les choses au sein de la flotte, à supposer que ce fût possible.

Broughton avait été bien content de donner toujours plus de travail à Bolitho, alors que l’escadre faisait ses préparatifs d’appareillage. Les nouvelles du Nord, la perte de l’Aurige, cette conjonction d’événements avait eu chez lui une résonance profonde. Il paraissait comme anéanti et, du moins lorsqu’il était seul avec Bolitho, moins maître de soi qu’auparavant. Ce qu’il avait vécu à Spithead à bord de son bâtiment amiral l’avait à l’évidence profondément atteint, comme Rook l’avait noté à l’époque.

Il passait une bonne partie de son temps à terre, conférant avec Draffen ou avec le gouverneur. Mais il y allait seul et gardait ses réflexions pour lui.

L’enseigne de vaisseau Calvert paraissait incapable de rien faire de convenable pour son amiral, et sa vie était rapidement devenue un cauchemar. Quelle que fût sa naissance, il était totalement dépassé par la routine des signaux et des directives qui transitaient par lui à l’intention des capitaines de l’escadre.

Bolitho soupçonnait l’amiral d’utiliser son aide de camp pour passer sur lui ses propres angoisses. S’il avait décidé de lui rendre l’existence invivable, c’était une franche réussite.

C’était pitié de voir l’aspirant Tothill lui expliquer respectueusement mais fermement les trucs et les ficelles de la procédure des signaux. Mais le pire était encore la gratitude que lui en manifestait Calvert. En outre, cela ne lui servait guère. A la première manifestation de mauvaise colère de Broughton, le malheureux oubliait comme par enchantement ce qu’il venait d’apprendre.

L’après-midi du troisième jour, alors que Bolitho discutait de leurs préparatifs avec Keverne, l’officier de quart se présenta au rapport : les deux galiotes venaient de jeter l’ancre tout près de la côte.

Peu après, une chaloupe accosta, dont le patron déposa un pli cacheté destiné à Bolitho. La lettre était de Draffen, et particulièrement brève. Bolitho devait aller sur l’heure le retrouver à bord de l’Hekla, l’une des deux galiotes. On lui demandait de prendre la chaloupe qui avait déposé le courrier.

Broughton se trouvait à terre. Aussi, après avoir donné à ses instructions à Keverne, Bolitho embarqua-t-il pour se rendre à la réunion.

Allday le regarda partir en dissimulant mal sa désapprobation. Voir Bolitho utiliser un autre canot que le sien lui paraissait impensable et, alors que la chaloupe poussait du flanc de l’Euryale, il sentit une soudaine inquiétude l’envahir. Et si quelque chose allait lui arriver, et si Bolitho se retrouvait là-bas, tout seul ?… Que ferait-il ? Il cherchait toujours l’embarcation des yeux, le regard perdu, alors qu’elle avait disparu derrière le Zeus.

De toute sa vie de marin, Bolitho n’avait jamais vu de galiote ; néanmoins il en avait beaucoup entendu parler. Celle vers laquelle la chaloupe se dirigeait en faisant force de rames était exactement comme il l’imaginait. Deux mâts, une centaine de pieds de long, une coque extrêmement trapue, basse sur l’eau. La caractéristique la plus bizarre était ce mât de misaine situé de façon inhabituelle, très en arrière de la figure de proue, ce qui donnait au bâtiment une espèce de déséquilibre, comme si la véritable misaine avait été poussée parallèlement au pont.

Presque de la taille d’une corvette, dont elle n’avait pourtant ni la grâce ni la vélocité, la galiote avait la réputation d’un bâtiment impossible à mener dès que les conditions se gâtaient tant soit peu.

Comme la chaloupe accostait, il aperçut Draffen, debout, seul au milieu de la dunette exiguë. Il se protégea les yeux pour l’observer qui montait à bord.

Bolitho se découvrit tandis qu’une modeste garde rendait les honneurs au sifflet, et salua un jeune lieutenant qui le regardait avec une espèce de fascination.

— Venez donc par ici, Bolitho, fit Draffen. La vue est meilleure.

Bolitho prit la main qu’il lui tendait. Elle était semblable à l’homme, dure, rude.

— Ce lieutenant, demanda-t-il, est-ce le capitaine ?

— Non, je l’ai renvoyé en bas juste avant votre arrivée – il haussa les épaules. Désolé de vous avoir privé de votre cérémonial habituel, mais j’avais besoin de ma carte qui se trouve dans sa chambre – il grimaça. Enfin, si on peut appeler ça une chambre. La niche de mon chien est plus confortable. Pas besoin de se demander pourquoi ils les ont construites ainsi, continua-t-il en lui indiquant l’avant. Les membrures sont deux fois plus épaisses que la normale. Le recul et le choc de départ de ces petites beautés réduiraient n’importe quel pont en miettes.

Bolitho suivit des yeux ce qu’il lui indiquait : deux mortiers énormes montés au centre du gaillard. Trapus, noirs, effroyablement laids, ils avaient néanmoins un diamètre de bouche de plus d’un pied. Il imaginait sans peine les efforts qu’ils devaient infliger au pont, pour ne rien dire de ce qui se passait en face.

La seconde galiote, mouillée tout près par le travers, était bâtie sur le même modèle et portait le nom tout désigné de la Dévastation.

— Les galiotes appareilleront à la nuit, fit Draffen comme s’il parlait tout seul. Il n’y a aucune raison de laisser ces chacals d’Algésiras en apprendre trop et trop tôt, pas vrai ?

Bolitho approuva d’un signe, la chose paraissait sensée. Il se tourna pour l’observer de côté alors que Draffen regardait quelques marins occupés à lover du cordage en glènes, avec l’aisance d’araignées qui font leur toile.

Draffen était plus âgé qu’il n’avait cru, la cinquantaine avancée. Mais ses cheveux gris contrastaient fortement avec ses traits bien marqués, son visage bronzé.

— Les nouvelles d’Angleterre sont mauvaises, monsieur. Je le tiens de Sir Lucius.

Draffen gardait une attitude parfaitement indifférente.

— Il est des gens qui ne comprendront jamais rien.

Il n’expliqua pas plus avant ce qu’il entendait par là et continua en se tournant vers lui :

— A propos de votre frère, j’ai fait sa connaissance alors qu’il commandait un corsaire. J’ai cru comprendre que vous aviez fini par détruire son bâtiment.

Son regard se fit plus conciliant :

— J’ai appris récemment énormément de choses sur votre compte, et cet épisode me rend particulièrement envieux. J’espère que, dans les mêmes circonstances, je serais capable d’en faire autant.

Puis il changea de sujet :

— Bien sûr, je n’arrive pas à croire tout ce que j’ai entendu sur votre compte. Nul n’est parfait à ce point.

Il sourit en voyant que Bolitho ne savait plus trop sur quel pied danser puis il lui montra quelque chose derrière son épaule :

— Prenez par exemple ce que m’a raconté le commandant de l’Hekla. Je n’ai jamais rien entendu de pareil !

Bolitho fit demi-tour et resta figé, totalement surpris. Cet homme qui lui faisait face, avec sa longue tête chevaline où la confusion laissait place au plaisir, c’était Francis Inch, qui n’était plus lieutenant mais portait une épaulette unique sur l’épaule gauche. Capitaine Inch, ex-second de l’Hypérion lors du dernier combat sanglant contre les bâtiments de Lequiller, dans le golfe de Gascogne.

Inch s’approcha lentement, pataud, hésitant :

— C’est moi, monsieur ! Inch !

Bolitho prit ses mains dans les siennes. Il n’avait pas perçu jusqu’ici à quel point il lui avait manqué, tout ce passé qu’il représentait pour lui.

— Je vous ai toujours dit que je m’occuperais de vous trouver un commandement bien à vous.

Il ne savait trop que dire, devinait le sourire de Draffen. Et Inch qui le regardait avec cet air familier, décidé, qui avait bien manqué le rendre fou d’exaspération.

Inch rayonnait :

— C’était ou une galiote ou encore second sur un soixante-quatorze, monsieur – il s’assombrit soudain. Et après ce vieil Hypérion, j’n’en voulais point d’autre…

Son sourire s’élargit davantage :

— Et maintenant, j’ai celui-ci – il balaya du regard son petit bâtiment. Et ceci – il toucha son épaulette.

— Et vous avez aussi une femme ?

Bolitho devinait qu’Inch s’était retenu d’en parler, pour ne pas lui rappeler sa propre perte.

Inch acquiesça :

— Oui, monsieur. Avec la part de prise que vous nous avez obtenue, j’ai acquis une modeste demeure à Weymouth. J’espère que vous nous ferez l’honneur… – il redevenait comme dans le temps, peu sûr de lui, bredouillant. Mais je suis sûr que vous êtes trop occupé pour cela, monsieur…

Bolitho lui prit le bras :

— J’en serai ravi, Inch. Cela me fait tellement plaisir de vous revoir.

— Eh bien, remarqua Draffen, pince-sans-rire, les officiers de marine seraient finalement des animaux à sang chaud…

— Je vais écrire à Hannah ce soir, pour lui raconter que nous nous sommes vus.

Bolitho regarda longuement Draffen :

— Vous avez sûrement voulu me faire la surprise, monsieur.

— La marine a ses méthodes… – il regardait vers le Rocher qui les dominait – … et j’ai les miennes.

Puis, se tournant vers Inch :

— Laissez-nous, je vous prie, commandant, j’ai à discuter d’un certain nombre de choses.

— Venez souper avec moi ce soir, Inch, à bord du vaisseau amiral, l’invita Bolitho.

Et il se força à sourire pour cacher l’émotion que lui causait sa vue.

— Votre prochaine promotion pourrait s’en trouver accélérée.

Inch, tout heureux, courut retrouver son second et Bolitho devina qu’il allait sans aucun doute lui raconter quelques bonnes vieilles histoires du temps passé.

— Dites-moi, remarqua Draffen, ce gaillard n’avait pas trop de quoi faire un officier avant que vous vous en occupiez.

— Il a durement appris son métier, répondit tranquillement Bolitho. Je n’ai jamais rencontré d’homme aussi loyal ni aussi chanceux. Si nous tombons sur l’ennemi, je vous suggère de ne pas quitter le commandant Inch d’une semelle. Il a le don de rester vivant quand tous les autres tombent autour de lui et que le bateau est en pièces.

— Je m’en souviendrai, jeta Draffen – son ton se fit plus rude. Tout va bien, votre escadre appareille demain soir. Les galiotes suivront plus tard, mais votre amiral vous donnera davantage de détails.

Il donnait le sentiment d’avoir pris une décision :

— J’ai examiné vos états de service, Bolitho. L’aventure qui nous attend réclamera beaucoup de ressources et de sens de l’initiative. Il est possible que vous soyez contraint de violer quelque peu les règlements de l’Amirauté pour vous adapter aux circonstances. J’ai cru comprendre que ce genre de chose ne vous était pas étranger – il esquissa un sourire. J’ai appris d’expérience que la guerre exige des individus particuliers, avec des idées originales. Les règles trop simplistes et trop rigides ne conviennent pas à ce genre de divertissement.

Bolitho se remémora soudain la tête de Broughton lorsqu’il lui avait suggéré de laisser le Zeus donner la chasse au français. Et de son plan de bataille, de sa méfiance instinctive pour ce qui sortait de l’habitude ou de l’orthodoxie.

— J’espère seulement que nous n’arrivons pas trop tard et que les Français n’ont pas renforcé les défenses de Djafou.

Draffen jeta un rapide coup d’œil autour de lui.

— Je possède une certaine influence, des relations si vous préférez, et je n’ai pas l’intention de compter uniquement sur la chance ou la bravoure personnelle. Je connais bien les côtes algériennes et leurs habitants, qui sont pour la plupart des assassins totalement indignes de la moindre confiance – il se remit à sourire. Mais il nous faudra bien utiliser ce que nous trouverons et en tirer le meilleur parti. Comme disait John Paul Jones dans des circonstances très semblables, « si nous n’avons pas ce que nous aimons, tâchons d’aimer ce que nous avons ».

Il tendit la main à Bolitho :

— Je dois aller voir des gens à terre. Je ne doute pas que nous nous reverrons sous peu.

Bolitho le regarda descendre dans son canot avant de rejoindre Inch près du pavois.

— Un homme bien étrange, fit Inch, et très secret.

— Je pense comme vous. Et pourtant, il détient un énorme pouvoir.

— Il m’a raconté, reprit Inch en soupirant, quelques petites choses sur l’endroit où nous allons. Il semble très soucieux des détails – il hocha la tête. Et je n’arrive pourtant pas à deviner lesquels.

Bolitho était pensif. Du commerce sans doute, mais quelle sorte de commerce pouvait-on bien exercer dans un endroit comme Djafou ? Et quel lien cela avait-il avec les Antilles, sa rencontre avec Hugh ?

— Je dois retourner à mon bord. Nous aurons le temps de causer pendant le souper, encore que vous n’y verrez pas beaucoup de têtes connues, j’en ai peur.

— Sauf Allday, monsieur, répondit Inch en souriant. Je ne puis vous imaginer sans lui !

Bolitho lui assena une bourrade sur l’épaule :

— Ni moi non plus !

Un peu plus tard, seul dans sa chambre, Bolitho ouvrit sa chemise pour jouer avec le petit médaillon. Il regardait sans rien voir par les fenêtres de poupe. Inch ne saurait jamais ce que son arrivée représentait pour lui. C’était comme ce médaillon, quelque chose à quoi s’accrocher, un objet familier. Un ancien de l’Hypérion.

On frappa à la porte, c’était Calvert. Il entra, pressé, tenant quelques papiers qu’il serrait contre lui comme pour se protéger.

— Asseyez-vous, lui dit Bolitho avec un sourire. Je vais les signer et vous pourrez les distribuer dans l’escadre avant le crépuscule.

Voyant que Bolitho s’asseyait à son bureau et cherchait de quoi écrire, Calvert ne put cacher son soulagement. Cela lui évitait de devoir faire face à Broughton lorsqu’il reviendrait de terre. Ses yeux tombèrent sur le sabre que Bolitho avait posé sur le banc de retour de sa visite sur l’Hekla. Oubliant toute retenue, il s’écria :

— Oh, monsieur, puis-je y jeter un coup d’œil ?

Bolitho se tourna vers lui. Cela ne ressemblait guère à Calvert, qui n’avait que peu à dire en dehors des excuses qu’il murmurait lorsqu’il avait commis une erreur. Ses yeux brillaient d’un intérêt soudain.

— Mais certainement, monsieur Calvert.

Il s’enfonça dans son siège pour regarder le jeune enseigne sortir l’antique lame de son fourreau et tâter le fil contre son menton.

— Vous êtes escrimeur, comme Sir Lucius ?

Calvert ne répondit pas directement. Il passa ses doigts sur la garde usée, ternie.

— Un bon équilibre, monsieur. Bien bel équilibre – il regardait Bolitho à la dérobée. Et j’ai l’œil pour ça.

— Alors, gardez votre œil pour vous, monsieur Calvert. Il pourrait vous valoir des ennuis.

Calvert remit la lame en place et reprit sa contenance habituelle.

— Merci, monsieur, merci de m’avoir permis de le prendre.

Bolitho poussa le tas de papiers en ajoutant lentement :

— Et tâchez donc de faire montre d’un peu plus de volonté dans le service. Je connais beaucoup d’officiers qui auraient sacrifié leurs deux bras pour être à votre place. Faites-en bon usage.

Tout souriant, Calvert disparut en balbutiant Dieu sait quoi.

Bolitho se leva avec un soupir. Allday entra et vit immédiatement le sabre, qu’il remit à sa place contre la cloison.

— Monsieur Calvert était ici, n’est-ce pas, monsieur ?

Bolitho sourit de sa curiosité.

— Oui, et il a paru très intéressé par mon sabre.

Allday le regardait toujours, l’air pensif.

— Et il pouvait bien faire l’intéressé. Je l’ai vu hier se livrer à quelques démonstrations devant les aspirants. Ils ont allumé une chandelle et l’ont donnée à Drury, le plus jeune, pour qu’il la tienne en main pendant que Mr. Calvert la fauchait.

— C’est parfaitement stupide, fit Bolitho en se retournant.

Allday haussa les épaules.

— Faut pas vous en faire, commandant. De sa lame, le lieutenant a coupé la mèche et la flamme sans même effleurer la bougie – il s’éclaircit bruyamment la gorge. Vous devriez aller voir le spectacle, commandant.

Bolitho le fixa un instant :

— Vous avez raison, Allday, j’irai voir ça.

 

Jed Partridge, le pilote, porta la main à son vieux chapeau cabossé en voyant Bolitho émerger de sous la dunette.

— En route au sud-sudet, monsieur.

— Bien.

Bolitho répondit au salut de l’officier de quart avant de gagner le bord au vent pour se remplir les poumons de l’air frais apporté par le soir.

L’escadre avait levé l’ancre à midi sous un soleil impitoyable, mais par bon vent de noroît. Elle s’était aussitôt formée en colonne, chaque bâtiment gagnant son poste sans adresser aux autres plus de signaux qu’il n’était strictement nécessaire.

Sur la côte espagnole, de nombreuses lunettes étaient sans doute braquées sur eux et les supputations sur leur destination devaient aller bon train. Certes, l’ennemi considérait sans doute qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter d’une force aussi modeste, mais inutile de prendre des risques. Hors de vue de terre, chaque capitaine devait savoir que tout bâtiment rencontré ou presque était potentiellement un ennemi. Les neutres eux-mêmes, et il n’y en avait guère, devaient être traités avec suspicion et comme des espions potentiels de leurs faits et gestes.

On était au crépuscule, une heure qui en Méditerranée fascinait toujours autant Bolitho. Les quatre bâtiments de ligne roulaient et plongeaient en cadence dans une longue houle, le vent restait stable par le travers bâbord. Il voyait les ombres s’allonger sur les passavants et la mer rougeoyer sous les bossoirs. A l’ouest, le ciel devenait rose saumon et la lumière mourante du soleil transformait les voiles du Valeureux en gigantesques coquillages.

Si ce vent et cette mer se maintenaient, ils n’auraient pas trop de peine à tenir leurs postes pendant la nuit. « Voilà qui plaira à Broughton », se dit-il.

Keverne arrivait du pont principal.

— La visibilité risque de ne pas rester bonne très longtemps, monsieur.

Bolitho voyait la silhouette massive du pilote près des timoniers.

— Nous allons tout de suite changer de cap de deux rhumbs, monsieur Partridge – et, apercevant l’aspirant Tothill près des haubans : Envoyez le signal : « Changement de route en contremarche. Nouvelle route au sud-est. »

Il n’y avait pas lieu de se préoccuper, concernant les signaux : Tothill et son équipe avaient largement administré la preuve de leurs compétences. « Il fera un bon officier », songea-t-il en passant. Et, s’adressant à Keverne :

— Que chaque bâtiment montre un fanal de poupe, pour le cas où nous serions dispersés. Et cela pourra aider la Coquette si elle nous recherche.

La frégate en question patrouillait environ quinze milles en arrière, sage précaution pour vérifier qu’ils n’étaient pas déjà pistés par quelque ennemi un peu curieux.

La Sans-Repos, leur petite corvette, était à peine visible au vent du Zeus. Bolitho imaginait son jeune commandant tout frais désigné se concentrant sur l’importance de son nouveau rôle. La corvette était leur seul bâtiment suffisamment rapide pour aller enquêter sur une voile suspecte.

C’était toujours la même chose : jamais assez de frégates et, maintenant que l’Aurige les avait trahis, ils devaient se montrer encore plus économes pour monter des opérations à longue distance.

— Signal frappé, monsieur, annonça Tothill.

— Bien – Bolitho fit signe à Keverne : Allez-y, je vais prévenir l’amiral.

Il trouva Broughton et Draffen assis aux deux bouts de la longue table dans la salle à manger de l’amiral. Le silence était pesant.

— Eh bien ?

Broughton se carra dans son siège. Il tapotait du doigt un verre de bordeaux auquel il n’avait pas touché.

— Paré à changer de route, sir Lucius.

Draffen l’observait. Ses yeux luisaient à la lueur des lampes suspendus et de la lumière rosée qui pénétrait par les fenêtres.

— Parfait – Broughton tira sa montre. Pas d’indice de poursuite ?

— Aucun, amiral.

Broughton poussa un grognement.

— Alors, allez-y, je vous prie, je monterai plus tard.

Draffen se leva et resta appuyé contre la table comme l’Euryale plongeait lourdement dans un creux.

— Puis-je me joindre à vous, capitaine ?

Il fit un petit signe poli à Broughton :

— Je ne me lasserai jamais d’observer des bâtiments bien menés.

— Hé, fit Broughton – Bolitho se retourna. Non, rien, faites ce que vous avez à faire.

Lorsqu’ils furent arrivés sur la dunette, Draffen remarqua tranquillement :

— Partager les appartements d’un amiral n’est pas la manière la plus facile de voyager.

Bolitho sourit :

— Vous pouvez prendre les miens si vous le souhaitez, monsieur. Je passe plus de temps dans la chambre des cartes que sur ma couchette.

L’autre hocha la tête. Il observait tour à tour les petits groupes de marins rassemblés à leurs postes dans l’attente des ordres de l’arrière.

— Sir Lucius et moi-même, Bolitho, nous venons de mondes diamétralement opposés. Mais, dans l’immédiat, il vaut mieux ignorer les différences sociales.

Bolitho oublia Draffen et les tensions qui régnaient dans la grand-chambre, et se tourna vers Keverne.

— Envoyez le signal !

Comme les pavillons montaient aux drisses et claquaient au vent, il ajouta simplement :

— Soyez paré, monsieur Partridge.

— Le Zeus a fait l’aperçu, monsieur !

Le bâtiment de tête venait déjà au nouveau cap. Ses huniers et son foc claquèrent un court instant avant d’être repris. La Tanaïs suivit, laissant un sillage fluorescent sur le côté en répondant un peu trop vivement à la barre.

Keverne leva son porte-voix. Il s’appuyait souplement contre la lisse comme pour mieux sentir évoluer le bâtiment.

— Aux bras, là-bas !

Il montrait du doigt l’une des ombres rosées au pied du grand mât.

— Monsieur Collins, prenez le nom de cet homme ! Il se traîne comme une putain au milieu d’une noce !

On entendait des voix confuses dans l’obscurité, la roue grinçait doucement. La chevelure blanche de Partridge vira au jaune lorsqu’il se pencha sur le compas.

— Déhalez-moi là-dessus, et vivement !

Les hommes étaient courbés, penchés au-dessus du pont pour résister à la traction des énormes vergues tandis que les fusiliers viraient avec une cadence impeccable le bras d’artimon. La coque s’inclina davantage, les voiles tremblaient sous la pression du vent.

Bolitho se pencha par-dessus la lisse, fouillant du regard la longueur du pont, détaillant les divers grognements des haubans et du gréement. Ce genre d’inspection était devenu chez lui automatique, il le faisait pourtant avec l’attention la plus soutenue.

— Venez bâbord amures, monsieur Partridge.

Il leva les yeux. La marque de Broughton et la flamme qui battaient paresseusement pointèrent bientôt par tribord avant.

— En route au sudet, monsieur !

Et Partridge passa de l’autre bord de l’habitacle pour laisser Bolitho observer la rose qui dansait.

— Comme ça !

Le bâtiment répondait bien, les larges rectangles des voiles se tendaient au vent, ils étaient à leur nouvelle route.

La lumière baissait rapidement, comme toujours dans ces parages. Vous assistiez à un merveilleux coucher de soleil qui paraissait éternel, puis, subitement, rien d’autre que des embruns laiteux sous le tableau, un mouton çà et là au passage d’une risée sur une crête.

Il entendit Keverne aboyer :

— Et ce bras au vent ! Nom de Dieu, mon garçon, tournez-moi cette manœuvre ! Monsieur Weigall, vos hommes doivent s’activer un brin !

On entendait des échos de voix qui se fondaient dans les grincements du gréement et le claquement de la toile. Il imaginait le troisième lieutenant en train de maudire l’œil perspicace de Keverne, ou son intuition imparable, au choix.

Draffen avait assisté au spectacle sans rien dire. Lorsque les hommes commencèrent à se regrouper par division, il murmura :

— J’espère que je serai encore à bord quand vous aurez l’occasion de naviguer tout dessus.

Il avait l’air tout heureux.

Bolitho lui sourit :

— L’occasion a peu de chances de se présenter cette nuit, monsieur, et nous nous exposons même à prendre des ris dans les huniers. Il y a toujours danger de collision à naviguer ainsi en formation serrée.

Keverne arrivait. Il salua.

— Permission de renvoyer la bordée de repos, monsieur ?

— Oui. La manœuvre a été parfaitement exécutée, monsieur Keverne.

Une voix appelait :

— Le Valeureux est à poste, monsieur !

— Très bien.

Bolitho gagna le bord au vent. Les marins et les fusiliers couraient sur le pont pour regagner leurs postes dans les entreponts. Un monde confiné, exigu, où ils vivaient entre les canons qu’ils servaient au combat, où ils avaient à peine la largeur des épaules pour crocher leur hamac. Il se demanda soudain ce qu’ils pouvaient bien penser de leur nouvelle destination.

Draffen se pencha sur le compas et la lampe d’habitacle éclaira un instant son visage. Il alla ensuite rejoindre Bolitho, et ils commencèrent à arpenter lentement le pont sous les filets.

— Cela doit vous faire une impression étrange, Bolitho.

— Et quoi donc, monsieur ?

Bolitho avait presque oublié qu’il n’était pas seul dans son interminable promenade.

— Commander un navire comme celui-ci, que vous avez vous-même pris au combat.

Il continua, bien décidé à explorer plus avant un thème qui le préoccupait visiblement.

— A votre place, je me demanderais si je pourrais en fait défendre un bâtiment dont je me serais emparé moi-même de si haute lutte.

Bolitho fronça le sourcil.

— C’est affaire de circonstances, monsieur.

— Mais racontez-moi, je suis vivement intéressé. Que pensez-vous du vôtre ?

Bolitho s’arrêta, posa les deux mains sur la lisse de dunette. Il sentait le bois vibrer sous ses paumes, comme si cet assemblage compliqué de bois et de gréement était un être vivant.

— Il est rapide pour sa taille, monsieur, et il n’a que quatre ans. Il est très manœuvrant, sa coque est remarquablement bien construite – il lui montra l’avant. Contrairement à nos propres bâtiments de ligne, le bordé est continu à l’étrave, si bien qu’il n’y a pas de point faible sous le feu.

Draffen laissa apparaître ses dents.

— J’aime bien votre enthousiasme, il a quelque chose de rassurant. Mais je m’imaginais que vous diriez les choses autrement. Un officier-né comme vous, héritier d’une longue lignée de marins, je n’aurais pas cru que vous salueriez ainsi le travail d’un chantier ennemi – il se mit à rire. Mais on dirait que j’ai eu tort.

Bolitho se tourna vers lui.

— Les Français sont de bons architectes, ils savent dessiner des coques meilleures et plus rapides que les nôtres.

Draffen leva les mains, feignant l’effroi :

— Mais dans ce cas, comment pouvons-nous l’emporter ? Comment remporter la victoire contre des ennemis de plus en plus nombreux ?

Bolitho hocha la tête.

— Les faiblesses de l’ennemi ne résident pas dans ses bâtiments ni dans son absence de courage. Leur problème, c’est le commandement. Les deux tiers de leurs officiers expérimentés ont été massacrés pendant la Terreur. Et ils ne reprendront pas confiance en eux tant qu’ils seront coincés au port par notre blocus.

Il savait pertinemment que Draffen voulait le faire parler, mais n’en continua pas moins :

— Chaque fois qu’ils arrivent à le forcer et qu’ils se confrontent à nos escadres, ils apprennent un peu plus, prennent confiance, même s’ils ne peuvent obtenir une victoire navale. Le blocus n’est plus la bonne méthode, à mon avis. Il atteint les innocents au moins autant que ceux à qui il est destiné. Une action hardie, décisive, voilà la solution. Il faut atteindre l’ennemi partout et chaque fois que cela est possible : que l’action soit d’envergure ou pas ne compte guère.

L’officier de quart était en train d’admonester un homme pris en faute, qu’un quartier-maître bosco avait conduit à l’arrière. On l’entendait murmurer d’une voix courroucée.

Bolitho s’éloigna, Draffen sur les talons.

— Mais alors, demanda Draffen, cela se terminera par une confrontation décisive entre les deux marines majeures ?

— Je n’en doute pas, monsieur. Mais je crois également que plus nous attaquons les lignes de communication de l’ennemi, ses bases, son commerce, plus nous avons de chances de remporter une victoire durable sur terre – il sourit gauchement. En tant que marin, je souffre de devoir le dire. Mais aucune victoire ne sera totale tant que nos soldats n’auront pas planté leur drapeau sur les créneaux de l’ennemi !

Draffen eut un sourire grave.

— Vous aurez peut-être bientôt l’occasion de mettre vos théories en pratique. Cela dépend largement de ma rencontre avec l’un de mes agents. Nous sommes convenus de rendez-vous réguliers, et il faut espérer que cela lui sera possible.

Bolitho ouvrait toutes grandes ses oreilles. C’était la première fois qu’il entendait parler de rendez-vous. Broughton ne lui avait indiqué que le strict nécessaire jusqu’alors. L’escadre devait patrouiller au large de Djafou, hors de vue de terre, tandis que la Coquette irait explorer la zone près de la côte pour tenter de recueillir des renseignements. Tactique classique. Classique, mais désespérément terne, avait-il songé alors. A présent, avec la perspective d’obtenir d’autres éléments secrets sur le déploiement de l’ennemi, l’allure de l’opération changeait du tout au tout.

— Je suis un peu anxieux quand je pense au lendemain, reprit Draffen. Nous pourrions nous retrouver face à toute une flotte ennemie. Cela ne vous tracasse pas ?

Bolitho le regarda, mais son visage était dans l’ombre. Il était difficile de dire s’il essayait seulement de le jauger ou bien s’il voulait faire la lumière sur ce qui restait une éventualité bien réelle.

— J’ai toujours vécu dans cette ambiance de crainte, d’excitation ou d’horreur depuis que j’ai douze ans, monsieur.

Sa voix était grave, mais il finit par sourire.

— Mais jusqu’ici, je n’ai jamais vu personne prendre mes sentiments en considération et surtout pas l’ennemi !

Draffen se mit à rire.

— Je vais descendre dormir. Je vous ai dérangé trop longtemps. Mais je vous serai reconnaissant de me tenir au courant, le cas échéant.

Bolitho s’écarta un peu :

— Je vous préviendrai, monsieur. Vous et mon amiral.

Draffen s’éloigna en riant :

— Nous en reparlerons plus tard.

Et il disparut.

L’aspirant de quart arriva en courant pour rendre compte au lieutenant que le fanal de poupe avait été allumé. Bolitho apercevait à travers le fouillis du gréement celui de la Tanaïs qui brillait comme un feu follet et dont les reflets jouaient dans son sillage.

Il entendit le lieutenant répondre sèchement :

— Je trouve que cela vous a pris bien longtemps, monsieur Drury !

Le garçon marmonna une excuse.

Il n’avait pas de mal à imaginer la silhouette d’Adam Pascœ au milieu de toutes ces ombres, en lieu et place de celle du malheureux Drury.

Bolitho avait essayé de ne pas se faire de souci pour son jeune neveu, mais sa rencontre avec Inch avait rendu soudain plus cruelle, plus tangible, l’absence du garçon. Il y avait des lettres bien sûr, tant de lui que de son capitaine, Herrick, le meilleur ami de Bolitho. Mais son bâtiment, le vieil Impulsif était dans le même cas que l’Euryale et ne se souciait donc guère de la chaleur, de l’espoir que pouvait représenter un courrier. Il arrivait même aux lettres de moisir dans le bureau d’un port en attendant l’occasion incertaine d’un retour au mouillage.

Bolitho reprit sa déambulation, essayant de se remémorer Adam comme il l’avait laissé la dernière fois qu’il l’avait vu. Il était sûrement différent à présent. Peut-être lui était-il devenu étranger ? Il accéléra le pas, soudain conscient de son inquiétude.

Ils s’étaient quittés deux ans plus tôt, le jeune homme pour rejoindre le bâtiment de Herrick et lui-même pour prendre le commandement de sa prise, l’Euryale, après en avoir assuré le réarmement. Il avait dix-sept ans et tentait peut-être à cette heure de devenir lieutenant. Ces deux années l’avaient-elles profondément changé ? se demanda-t-il. Était-il encore comme il avait commencé à le former ou bien allait-il dans les traces de Hugh ?

Il réalisa en sursautant que l’aspirant lui barrait le chemin. Ses yeux brillaient dans l’obscurité.

— Vous d’mande pardon, monsieur, mais l’officier de quart vous présente ses respects et, et… – il hésita sous le regard perçant du capitaine – … et il voudrait prendre un ris. On dirait que le vent forcit, monsieur.

Bolitho l’observait toujours, l’air impassible. Il ne s’était même pas rendu compte que le bruit du vent dans les haubans avait changé. Fallait-il qu’il eût été absorbé dans ses pensées !

— Quel âge avez-vous, monsieur Drury, lui demanda-t-il soudain ?

Le garçon déglutit :

— Treize ans, monsieur.

— Je vois. Parfait. Monsieur Drury, il vous reste encore pas mal de tempêtes à essuyer d’ici à ce que vous commandiez personnellement.

— Ououi, m’sieur.

Il redoutait visiblement ce qui allait suivre.

— Et un jeune officier sans doigts risque de rencontrer de vrais problèmes. Aussi, à l’avenir, je ne souhaite pas entendre parler de votre agilité de porte-chandelle quand vous servez de cible à un escrimeur, comprenez-vous ?

— Non, monsieur – enfin, je veux dire : Oui, monsieur.

Il manqua tomber en se précipitant vers l’officier de quart, encore sous le coup que lui avait assené son capitaine avec ses dons de médium.

Keverne apparut sur le pont, son mouchoir plaqué sur la bouche. Il leva les yeux pour examiner les voiles gonflées.

— Des problèmes, monsieur ?

— Nous allons tout de suite ariser les huniers, monsieur Keverne.

Il s’efforçait de garder un ton officiel. Quelles que fussent ses pensées ou ses craintes, il ne devait rien en laisser paraître, rien partager avec ceux qui dépendaient de son jugement. Il regarda Keverne s’éloigner en hâte en boutonnant son manteau pour appeler un bosco.

Mais parfois, comme cette nuit, c’était plus difficile que tout ce qu’il avait imaginé.

 

Capitaine de pavillon
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